Terrasser les Dragons d'Isidore - Chapitre Deux


Declan s’appuya contre les casiers et donna un coup de talon dedans. Son cœur martelait sa poitrine qui se gonflait tandis que des larmes menaçaient. Tu n’as pas intérêt à pleurer, de Quirke ! Reprends-toi, bon sang !
— Veuillez rejoindre immédiatement votre place, Monsieur de Quirke ! ordonna le professeur Lowe en s’avançant vers lui.
— J’ai juste besoin d’une minute, souffla-t-il en essuyant ses larmes avec son pouce et son index.
— Je ne supporterai pas l’insubordination !
Le professeur Love attrapa le coude de Declan, dans une tentative pour le ramener en classe, mais il s’éloigna.
— S’il vous plaît, juste une…
— Professeur, si je peux expliquer…
La voix profonde de Jean-Isidore s’éleva de derrière le professeur Lowe.
C’est impossible, ça ne peut pas arriver ! La dernière chose dont Declan avait besoin, c’était que le bel Adonis le voit pleurer.
— Et maintenant, qui voilà ? Monsieur de Sauveterre ! Retournez également à votre place !
— Professeur, s’il vous plaît, laissez-moi expliquer, déclara poliment, mais fermement Jean-Isidore.
— Certainement pas ! Allez au bureau du directeur ! Tous les deux !

***

Dieu merci, l’école a commencé un mercredi et la semaine ne durera que trois jours, pensa amèrement Declan tandis qu’il était assis, soumis au regard colérique du directeur Brassington.
— Expliquez-vous ! ordonna-t-il d’un ton glacial.
Declan demeura silencieux. Bien que ses larmes aient diminué, il était encore humilié au-delà de tout. Que pouvait-il dire ? Ah, j’ai paniqué parce que le professeur Lowe est un crétin insensible.
— Puis-je, Monsieur ? demanda poliment Jean-Isidore.
Et maintenant, le superbe Adonis allait le défendre ? Embarras de proportion épique.
— S’il vous plaît, fit le directeur, crispé.
— Le professeur Lowe a demandé de décliner notre identité et de révéler quelque chose à propos de notre famille. Quand cela a été le tour de monsieur de Quirke, le professeur Lowe l’a pressé pour avoir des informations à propos de son père. Le souvenir de son décès l’a assailli et il a quitté la classe sans permission. Le professeur lui a demandé de retourner à sa place. J’ai quitté la mienne pour tenter d’expliquer les circonstances et… eh bien… nous voilà ici.
Le directeur autoritaire s’était décongelé, mais seulement un peu.
— Monsieur de Quirke, nous sommes tous bien conscients que la situation est difficile pour vous, cependant vous devez vous reprendre. Vous avez toute votre vie devant vous et cela n’arrivera pas en vous accrochant à la mort de votre père.
M’accrocher ? Que diable… ? Okay, pas d’accrochage. Et qu’en est-il si je trouve un moyen d’humilier le professeur Lowe ? Est-ce autorisé ?
— Oui, monsieur, fit Declan entre ses dents serrées tandis qu’il détournait le regard.
— Monsieur de Sauveterre, nous ne tolèrerons pas d’interférence en matière de discipline. C’est votre seul avertissement. Ceci étant dit, c’était courtois de votre part de venir en aide à monsieur de Quirke. Vous pouvez partir.

***

Le déjeuner dans la salle de restaurant s’avéra être un moment bruyant. Declan resta assis silencieusement parmi le bruit, plus du tout d’humeur à se montrer social.
— Hey, mec, ne sois pas émotif avec nous. On veille sur tes arrières, fit Mason en donnant un léger coup de poing dans son épaule.
— Ouais, désolé, mec.
Mason lui adressa un regard scrutateur.
— Qu’avait à dire, le Petit Lord Fauntleroy ?
— Qui ?
— Little Big Man, répondit Mason en faisant un geste de tête en direction de la salle.
Declan se retourna pour voir Jean-Isidore assis avec un groupe de geeks paraissant effrayés. Leurs yeux se croisèrent brièvement, mais Jean-Isidore se détourna rapidement. Pourquoi devrait-il se sentir embarrassé ? Ce n’est pas lui qui a perdu les pédales et qui s’est mis à pleurer.
— Je ne sais pas. Je ne lui ai pas parlé. Quelque chose à propos d’essayer d’expliquer pour mon père.

***

Le souffle de Jean-Isidore s’accéléra à la vue des yeux bleus de Declan et il baissa les siens. Declan n’avait pas dit un mot, pas même un vague « merci » quand ils avaient quitté le bureau du directeur Brassington. Il s’était simplement éloigné. Pourtant, à présent, Declan le dévisageait. Pourquoi ? Était-il en colère après lui pour avoir essayé de l’aider ? Il espérait que non. Il voulait qu’aucune plainte ne vienne de l’école. Son père le ferait revenir et il ne pouvait pas y retourner. Il ne pouvait pas. Il préfèrerait plutôt se tuer.

***

— Lui as-tu parlé de ton père ? demanda Mason.
Declan secoua la tête.
— Il a dû en entendre parler comme tout le monde.
— Tu crois que le prof Lowe était au courant ?
— Certainement. Il aime juste me harceler.
— C’est dur, mec.
Declan haussa une épaule.
— Peu importe. Je lui en ai fait assez voir pendant toutes ces années.
— Aye, mon garçon, c’est vrai. Les Irlandais aux cheveux noirs ont toujours été un peuple pourri, le taquina Mason en imitant l’accent que Declan tentait pourtant de ne pas montrer.
Celui-ci lui balança une serviette.
— Tu veux parier ? reprit Mason.
— Quoi ?
— Que j’aurai la rousse avant toi.
— Je vais miser que tu seras père ou que tu auras chopé une maladie avant d’être diplômé.
— Ooooh, impossible, mec. Mason Fairchild Brassington, le Troisième est invincible. D’ailleurs, mon père me couperait les couilles. Tu joues au rugby cette année ?
Declan secoua la tête.
— J’essaie de traîner un peu plus avec maman.
— Je comprends parfaitement, mais tu dois sortir aussi, mec.
— Hey, sexy ! Tu viendras au bal de promotion avec moi cette année.
Declan sursauta à la voix douce qui résonna dans on oreille et se tourna pour trouver Jessica Billings, sa soupirante depuis des années, avec sa bande de fidèles derrière elle
— Salut, Jess, c’est agréable de te revoir.
Absolument pas ! Elle se glissa sur le siège à côté de lui, comme le serpent dans le jardin d’Éden, son ample poitrine lui effleurant l’épaule dans le processus. Vraiment dégueu !
— Alors, tu es de retour d’Angleterre ?
— D’Irlande, précisa-t-il.
— Peu importe. Es-tu ici pour toute l’année ?
— Ouais, ensuite j’irai à l’université.
— Oh ! Laquelle ?
— Je n’ai pas encore choisi.
— Oh… Au fait, j’ai appris pour ton père. Je suis vraiment désolée, dit-elle tout en frottant sa cuisse d’une main bien trop entreprenante.
Sa sympathie paraissait aussi superficielle et pleine d’arrière-pensées qu’elle l’était.
— Merci.
Il souleva doucement sa main baladeuse et la posa sur son propre genou.

***

Jean-Isidore espionna nonchalamment alors que la fille à forte poitrine murmurait à l’oreille de Declan et s’asseyait à côté de lui. Il grinça des dents quand il vit comment elle le tripotait et ne put s’empêcher de détourner le regard, incapable de supporter la vue. Bien sûr que Declan aime les filles, imbécile ! À quoi t’attendais-tu ? Et qui suis-je pour m’en soucier ? Comme s’il pouvait aimer quelqu’un comme moi… Isidore secoua la tête, repoussant ses pensées inappropriées et revint à l’insipide conversation qui se déroulait à table.

***

Declan passa une serviette autour de son cou tandis qu’il se dirigeait vers les douches, après la gym. La partie avait été bonne et lui avait permis d’évacuer un peu la vapeur. Il passa au coin de la dernière rangée de casiers et trouva Archer Williams et son groupe faisant claquer des serviettes humides sur quelqu’un. Probablement une première année. Tout le monde devait en passer par là.
— Allez, petit homme ! Lève-la ! Vous, les Français, vous êtes censés avoir les plus grosses queues du monde ! Prouve-le !
Les mots s’enregistrèrent, Declan tourna les talons et revint de là d’où il venait. Il se fraya un chemin à travers la foule pour trouver Jean-Isidore plaqué contre le mur de la douche, ses mains protégeant son aine. Des rayures rouges le couvraient et une petite coupure assombrissait lentement une de ses joues. La beauté bronzée se tenait fièrement malgré les mauvais traitements, refusant de s’incliner devant les intimidateurs.
— Recule, Williams ! cria Declan.
Archer tendit la main pour saisir la serviette autour du cou de Declan et celui-ci éloigna brusquement sa main.
— Laisse tomber.
Archer fit claquer la serviette humide vers lui et Declan l’arracha de ses mains, la fit tournoyer, puis la claqua sur son sexe.
Archer hurla.
— T’es mort, de Quirke !
— Sors de là ! Que tout le monde foute le camp d’ici ! cria Declan.
— Je t’aurai, de Quirke ! Tu es foutrement mort ! grinça Archer tout en s’esquivant, ses mains tenant ses parties intimes.
Parfaitement sculpté et proportionné – Declan n’avait pas eu tort quand il avait pensé que Jean-Isidore ressemblait à un Adonis. Bordel de merde ! Il saisit une serviette propre, s’approcha de lui et l’enroula autour de sa taille. Incapable d’empêcher ses yeux d’admirer, son incontrôlable sexe se mit à durcir. Bordel, de Quirke, arrête de le fixer ! Declan guida Jean-Isidore vers le banc à proximité, entre deux rangées de vestiaires, et s’assit à côté de lui.
— Tu vas bien ?

***

Jean-Isidore était assis, figé sur place. De toutes les personnes qui auraient pu venir à son secours, il avait fallu que ce soit Declan de Quirke. C’était tout simplement cruel. Pourquoi était-ce arrivé ? Qu’avait-il fait pour mériter ça ? Dieu essayait-il de balayer les vestiges de ce qui lui restait de sa santé mentale ? Il aurait pu supporter les coups. Dieu seul savait qu’il avait souffert bien pire que ça. Il commença à trembler. Son système nerveux commençait à s’effilocher. La journée avait été trop harassante. Il voulait retrouver la sécurité de son endroit sombre et chaud dans son esprit. Que pouvait-il dire ? Qu’il n’y avait pas de quoi s’inquiéter, qu’il allait très bien, mais que… oh, en passant, son esprit était dérangé ? Silence. Le silence était, en général, ce qu’il y avait de plus sûr.

***

Le magnifique jeune homme murmurait en français, pratiquement apathique. Il releva les yeux et Declan plongea avec empressement dans les piscines vertes, hypnotisé encore une fois. Des larmes lui montèrent rapidement aux yeux et une larme déloyale déborda et coula le long de la joue de Jean-Isidore. Ah merde, le gars va se mettre à pleurer. Declan osa passer un bras autour de lui et fut ravi de découvrir qu’il s’adaptait parfaitement dessous. À sa grande surprise, Jean-Isidore se laissa tomber contre son torse, tremblant comme un chaton nouveau-né.
— Désolé. C’était une question stupide. Je sais que tu ne vas pas bien. 

***

Le bras de Declan autour de lui paraissait paradisiaque. Sécuritaire. Combien de temps cela faisait-il depuis la dernière fois qu’il s’était senti en sécurité ? Était-il blessé ? Non, il ne l’était pas. Enfin, pas trop. Il ne faisait que s’écrouler à travers ses fissures. Rien qui sorte de l’ordinaire pour lui. Désormais, les larmes arrivaient plus vite.
Je suis tellement pathétique, une disgrâce absolue.

***

Declan prit une profonde inspiration pour se calmer, l’odeur épicée et douce à la fois de la peau de Jean-Isidore dérivant jusque dans ses poumons. Citron, cèdre, musc et une pointe de ce qu’il pensait être du girofle. C’était enivrant et cela devint immédiatement sa nouvelle odeur préférée. Son sexe se raidit et il pria pour que Jean-Isidore ne remarque pas sa serviette désormais remplie au niveau de son aine. Je te déteste, sale bite !
— Es-tu blessé ?
Les boucles douces de Jean-Isidore provoquèrent un petit tremblement contre son torse, effleurant un mamelon, l’érigeant en un petit nœud pointu. Foutu corps !
— Nous sommes à égalité maintenant.
Les paroles de Jean-Isidore étaient étouffées par sa poitrine.
— Vraiment ?
Oui.
Il semblait s’être repris tandis qu’il relevait son visage baigné de larmes et s’essuyait les joues du revers d’une main rageuse.
— Nous avons vu les larmes l’un de l’autre.
Declan lui adressa un sourire.
— Ouais, je suppose que c’est vrai.
— De Quirke, que diable faites-vous ? hurla l’entraîneur Bingham.
Ils se séparèrent immédiatement.
— Puis-je emprunter le kit médical, coach ? demanda Declan.
— Pourquoi ?
Il souleva gentiment le menton de Jean-Isidore.
L’entraîneur siffla.
— Qui ? demanda-t-il.
Jean-Isidore posa ses doigts sur les lèvres de Declan avant qu’il puisse parler. Ils étaient doux, étonnamment chauds, et il voulait les mettre dans sa bouche, les caresser avec sa langue. C’est quoi ton problème, de Quirke ?
— Dix questions et les neufs premières ne comptent pas, entraîneur, déclara Declan, le sarcasme dégoulinant de sa voix.
— Bon sang ! L’administration va avoir ma tête.
— Peut-être que vous pourriez le transférer dans un autre cours de gym ?
— Ouais. Bon sang ! De Sauveterre, je vais appeler votre père.
Non, non, non !
Jean-Isidore bondit du banc.
— Désolé, gamin, je dois le faire.
— Non !
Ça, c’est un « non » ferme et définitif.
— Pourquoi pas ? demanda doucement Declan.
— C’est quelqu’un d’important !
Ah, bon, très bien. Tout comme la mère de Declan. Pas de problème. D’accord ?
— Qui est ton père ?
— L’ambassadeur de France pour les États-Unis. Nous ne pouvons pas le déranger !
Sans déconner ?
— Appelez ma mère, entraîneur. Je vais le ramener à la maison.
— Je ne peux pas, Declan. Je suis désolé.
— Alors, téléphonez à son père, mais dites juste qu’il ne se sent pas très bien. Je vais le ramener à la maison.
L’entraîneur poussa un long soupir.
— Savez-vous qui est son ami désigné ?
Declan sourit, ravi de pouvoir répondre.
— C’est moi.