UNE JOURNÉE DANS LA VIE DE CHRISTY AVANT MICHAEL

UNE JOURNÉE DANS LA VIE DE CHRISTY AVANT MICHAEL

Christy regarda le verre en carton qui contenait ses médicaments. Il était situé à la même place sur le plateau contenant son petit déjeuner chaque matin. Il détestait le fait de devoir prendre des médicaments et, autant il avait envie de la nourriture, autant il perdait son appétit à chaque fois qu’il voyait les pilules. Elles lui rappelaient avant, tout ce qu’ils lui avaient fait. Il les détestait avec une fureur chauffée à blanc, aussi forte que mille soleils. Il détestait encore plus les pilules pour les lui rappeler. Il passait chaque instant de son existence pathétique à se battre pour ne pas penser à eux, pour ne pas se souvenir d’eux, pour ne pas les laisser prendre d’assaut son esprit comme ils l’avaient assailli lui – il combattait la peur. La crainte qu’un jour, au moins l’un d’entre eux vienne ici pour lui. Pour le ramener. Ramener à… avant. Il poussa le plateau, l’envoyant s’écraser sur le sol en planches à rainures et languettes, la nourriture atterrissant avec un bruit mou. Il ferma les yeux avec force, pressa les paumes de ses mains sur ses paupières et se concentra. Allez-vous-en ! Laissez-moi tranquille ! supplia-t-il silencieusement à ses souvenirs vifs.
Lorsque les souvenirs s’effacèrent lentement, il regarda la nourriture gisant, sans vie sur le sol. Les pancakes plissés lui rappelèrent lui-même, de la manière dont il imaginait qu’il avait dû ressembler quand ils l’avaient fait dormir sur le sol. Il n’aurait pas dû gaspiller la nourriture. La nourriture était importante. Il se pencha, retourna l’assiette et remit les pancakes, les œufs et le bacon dedans avec ses mains. Il posa l’assiette sur le comptoir en granit et fixa le jus d’orange renversé, les pilules éparpillées et le plateau à l’envers. Il ne pouvait pas sauver le jus de fruit, mais ne ferait rien pour les médicaments. Il se leva et alla prendre une douche.
Fraîchement douché, il se rasa avec soin. Il aimait le sentiment d’être propre, de ne pas avoir les cheveux dans son visage. Ils l’avaient toujours laissé sale… avant. Il frissonna au souvenir d’avoir dormi dans sa propre crasse et son estomac gronda, lui rappelant qu’il n’avait pas encore mangé. Il se rinça et sécha son visage avant d’aller vers son placard. Il noua soigneusement un foulard autour de son cou pour cacher la cicatrice qui allait d’une oreille à l’autre. Un autre rappel de… avant. Il tendit la main vers un petit miroir rond et le retourna. Le tenant, il vérifia son reflet dans le miroir sur le mur derrière lui. L’arrière de ses longues boucles d’un blond presque blanc avait l’air bien aujourd'hui pas trop crêpé. Il se retourna, installa le miroir sur le comptoir, et attrapa un petit pot en verre. Retirant le bouchon décoré, il trempa son doigt dans le gloss à la pastèque et l’étala d’une main experte sur ses lèvres. Ce gloss était son favori, pas seulement à cause du goût, mais également pour sa clarté. Il lui faisait se sentir tout joli bien qu’il soit à peine perceptible.
Il referma le pot et le posa sur le comptoir à côté des autres aux couleurs plus distinctes et ouvrit le tiroir sous le comptoir. Des blocs-notes en trois par cinq avec des spirales et des stylos le remplissaient. Écrire et faire des gestes de la main étaient ses seuls moyens de communiquer désormais, après ce qu’ils lui avaient fait avant. Il pensait à ses carnets et à ses stylos comme à ses soldats qui écriraient jusqu’à la mort pour lui. Il les contempla pendant un moment avant de choisir un carnet bleu et un crayon. Ses soldats bleus correspondraient au foulard qu’il portait aujourd’hui. C’était important que les choses correspondent, qu’elles soient symétriques. Quand les choses étaient organisées et nettes, son esprit travaillait mieux. Il pouvait se concentrer sur l’ici et le maintenant, et savait qu’ils étaient ses possessions et pas celles de quelqu’un d’autre.
Un léger coup frappé à la porte de la salle de bain le fit sursauter. Les bruits inattendus l’effrayaient toujours plus qu’ils ne le devraient. S’il était normal, ils ne le feraient pas. Mais il ne l’était pas. Il prit de grandes inspirations malgré sa peur et se rappela à lui-même que c’était seulement Rob, son psychiatre. Il glissa le carnet et le stylo dans la poche de son jean et ouvrit la porte.
— Bonjour, le salua Rob.
Christy fit un petit hochement de tête.
— Mauvaise matinée ?
Christy sortit son carnet et son stylo et griffonna : en colère.
— À propos de quoi ?
Eux.
— Vous pouvez l’être. Avez-vous mangé quelque chose ?
Christy secoua la tête.
— Vous devez prendre vos médicaments et manger quelque chose
Christy acquiesça à contrecœur et ramassa les médicaments sur le sol.
Rob s’agenouilla à côté de lui.
— Laissez ceux-là ici, Christy. Vous n’allez pas manger ce qui a été renversé sur le sol, dit-il doucement.
Christy se figea. Il avait seulement mangé ce qui se trouvait sur le sol jusqu’à ce qu’il arrive au ranch Wellington.
— Je vais prendre les pilules qui sont dans votre main.
Christy les posa avant que Rob puisse le toucher. Il détestait être touché. Il leva les yeux vers Rob et essaya de comprendre s’il était en colère. Rob ne semblait pas en colère, mais c’était vrai qu’il n’était pas très bon pour interpréter les expressions des visages.
— C’est bon. L’équipe de nettoyage va s’en occuper.
Rob se releva, passa un rapide coup de téléphone et commanda un autre plateau de nourriture et une nouvelle dose de médicaments. Il s’assit sur un tabouret au comptoir de la cuisine et indiqua d’un geste à Christy d’en faire autant.
Il prit le siège à l’opposé de celui de Rob.
— Avez-vous prévu de marcher jusqu’à l’école aujourd’hui ?
Christy hocha la tête.
— Vous devrez manger rapidement ou vous serez en retard.
Il hocha à nouveau la tête.
Un employé des cuisines entra dans le chalet, installa un plateau identique avec des médicaments devant lui et se pencha pour nettoyer le gâchis.
Christy se sentit coupable à propos de ça et de la nourriture perdue. Il griffonna sur son carnet et le leva pour que Rob puisse le lire.
— Excuses acceptées. Qu’est-ce qui, en particulier, vous a mis en colère ? demanda Rob.
Christy avala les médicaments et une bouchée de pancakes avec soin. Il lui arrivait encore d’avoir des problèmes pour avaler parfois. Il posa sa fourchette et écrivit : Médicaments me font me souvenir d’eux.
— Je suis désolé. Voyons le bon côté. Vous dormez mieux, les souvenirs vous gênent un peu moins chaque jour et vous êtes d’une humeur un peu plus égale quand vous êtes éveillé. Et vous vous en sortez bien à l’école.
Rob souriait maintenant.
— Comment se passe votre reconnaissance ?
Christy ne put retenir le petit sourire qui se glissa sur ses lèvres tandis que ses joues s’échauffaient. Depuis qu’il avait vu Michael à l’école, il n’avait rien fait d’autre que de l’espionner. Il était pratiquement certain qu’il avait ce que les autres enfants appelaient un « béguin pour un gars ». S’il ne pensait pas à eux, il pensait à Michael.
Rob se mit à rire doucement.
— Quand allez-vous vous présenter à lui ?
Christy leva les yeux au ciel et écrivit : jamais.
— Très joli mouvement des yeux. Pourquoi pas ?
Autre lever des yeux.
— Vous pourriez lui écrire une note.
Christy fronça les sourcils. Il n’avait pas pensé à ça. Mais que dirait-il dans une note ? Hello, je suis brisé, mais j’aimerais être avec toi ? Il secoua la tête et griffonna : je suis brisé.
— Nous en avons discuté, Christy. L’abus dont vous avez souffert ne vous définit pas. Vous n’êtes pas brisé. Vous vous remettez d’un grave traumatisme.
Brisé.
— Vous vous sentirez beaucoup mieux quand vous arrêterez de le croire.
Christy ne voyait pas comment cela pourrait l’aider et il devait être réaliste. Il pouvait à peine passer à travers certains jours et les cauchemars rendaient ses nuits horribles. Il mangea la dernière bouchée de ses œufs et ne voulait pas perdre les pancakes restants et le bacon. Il griffonna : le garder pour plus tard ?
— Bien sûr.
Rob recouvrit la nourriture, se leva et glissa l’assiette dans le bac du réfrigérateur. Il regarda l’heure sur l’horloge de la cuisinière et dit :
— Vous allez être en retard pour l’école si vous ne laissez pas la sécurité vous conduire.
Christy fronça les sourcils. Il marchait jusqu’à l’école depuis quatre mois et cela lui donnait un sentiment de liberté et de confiance en lui qu’il n’avait jamais connu auparavant. Au début, il s’était perdu à quelques reprises, et la sécurité avait dû venir le chercher pour le conduire le reste du chemin jusqu’à l’école. Il n’aimait pas ça quand les gens le regardaient et quand la sécurité le déposait, les gens le dévisageaient encore plus. Et ses pieds devenaient plus forts également. Il pouvait même courir un peu s’il se concentrait sur le positionnement de ses pieds. Un pied était encore partiellement engourdi et il trébuchait beaucoup, mais il aimait être à l’extérieur, même si la journée était froide et le temps couvert. Il n’avait jamais été autorisé à aller dehors avant. Il griffonna : conduire et marcher ?
— Comme vous voulez.
Il aimait le fait que Rob lui laisse prendre ses propres décisions et il lui adressa un petit sourire et un hochement de tête appréciateur. Il se laissa glisser du tabouret et se dirigea vers la salle de bain pour se brosser les dents.
ooOoo
Il tapota l’épaule du chauffeur et l’homme gara la voiture le long du trottoir. Christy leva son carnet pour que l’homme puisse le lire. Marcher maintenant.
— Très bien.
L’homme sortit de la voiture et jeta un coup d’œil à la zone avant d’ouvrir la portière de Christy.
Celui-ci sortit du véhicule et posa son sac à dos en bandoulière sur une épaule. Il fit un geste des deux mains pour rester en arrière tandis qu’il marchait et l’homme compris.
— Je vais rester relativement loin derrière afin que les gens ne me voient pas.
Christy griffonna rapidement. Merci et prit la direction du parking de l’école. Il l’atteignit juste au moment où le SUV de Michael se garait. Son esprit immédiatement en alerte et un petit frisson d’excitation le remplit alors que Michael sortait de sa voiture. Il ne comprenait pas vraiment pourquoi la simple vue de Michael le faisait se sentir un peu excité. Il appréciait Michael et savait qu’il était très gentil et amusant, mais Michael ne savait même pas qu’il existait. Ils ne s’étaient heurtés l’un à l’autre qu’une seule fois. Il avait été stupide de le suivre d’aussi près, mais parfois, Michael marchait vite et il avait alors du mal à le suivre. Quand il se concentrait et surveillait son pied afin qu’il ne trébuche pas, il oubliait parfois où il était.
Il y a deux mois, Michael était en chemin pour rejoindre sa classe plus tôt un matin et s’était brusquement retourné. Christy le suivait de trop près et Michael l’avait heurté. Ils avaient tous les deux vacillé, presque sur le point de tomber, mais Michael avait rapidement tendu le bras pour le rattraper.
— Désolé, mec, je ne t’avais pas vu.
Le temps avait semblé s’arrêter tandis que Michael le fixait. Christy s’était figé de terreur et son cœur était remonté dans sa gorge alors qu’il attendait que Michael s’en prenne à lui et le frappe pour s’être mis dans son chemin. À son grand étonnement, il n’y avait pas eu de colère ou de dégoût dans les yeux de Michael, mais une véritable inquiétude. Il n’avait pas su quoi faire et n’avait pas pu lui présenter des excuses de vive voix, donc il était resté là, aussi muet qu’une pierre et l’avait fixé. Puis l’expression dans les yeux de Michael avait changé et était devenue de… l’intérêt.
— Tes yeux sont incroyables.
Il lui avait fallu un moment pour traduire les mots de Michael en grec et les comprendre. Puis il n’avait pas pu empêcher un petit sourire de se former sur ses lèvres et, pour la première fois de sa vie, il avait imaginé ce que ce serait si quelqu’un l’aimait, ce que ce serait si Michael se souciait de lui… juste un peu.  Puis il s’était immédiatement inquiété, ne sachant pas si c’était approprié de sourire.
— Désolé, mec.
N’ayant aucune idée de ce qu’il devait faire, il s’était simplement éloigné. La chose la plus bizarre à propos de la rencontre était que c’était la première fois n’avait pas paniqué parce que quelqu’un l’avait touché. C’était presque comme si le contact de Michael l’avait calmé quelque part. Son esprit n’était pas non plus parti dans cet endroit lointain, celui dont il ne pouvait pas se souvenir des choses. En fait, il avait été capable de penser et de traduire les mots de Michael dans son esprit. Il avait toujours des problèmes pour comprendre certaines choses, mais il avait été capable de comprendre ce que Michael avait dit. Et ce qu’il voulait dire. Michael lui avait fait un compliment, le premier véritable compliment qu’il ait jamais reçu. C’était également la seule fois où il avait été assez près pour sentir l’odeur du savon de Michael et son eau de Cologne. Il sentait merveilleusement bon. La rencontre fortuite avait fait beaucoup de bien pour le soulager de ses cauchemars et avait été un baume pour son âme aux abois. Il rêvait souvent de Michael maintenant, plus souvent qu’il faisait des cauchemars. Cela avait vraiment été une rencontre magique.
Il regarda Michael saluer Jake tandis que celui-ci sortait de sa voiture. Les deux jeunes hommes agissaient comme des frères inséparables. Une petite partie des entrailles de Christy se tordit. Les souvenirs de sa mère étaient faibles, mais les sensations d’amour et de réconfort et la sensation d’être en sécurité qu’il avait connues avec elle alors qu’il n’était qu’un tout petit enfant étaient toujours bien présentes. Les sentiments semblaient s’épanouir et devenir plus forts quand il voyait Michael et Jake ensemble. Ils le faisaient également se sentir seul. Il avait envie d’être aimé et protégé.
— Hey, hey, hey ! Lâche-moi garçon gay ! cria Jake quand Michael passa un bras autour de son cou et embrassa sa tempe.
Jake disait toujours ça quand Michael embrassait sa tête et ça faisait sourire Christy à chaque fois. Ils étaient toujours heureux ensemble.
Quelqu’un se précipita à côté de Christy et le cogna durement avec son sac à dos. Il fut projeté en avant, mais retrouva son équilibre avant de tomber. Il ferma les yeux alors que son cœur pulsait dans sa gorge. Il déglutit difficilement et pria pour que son esprit ne le quitte pas à nouveau. Quand il fut certain que son esprit était toujours là, il ouvrit lentement les yeux. Le gars était parti depuis longtemps. Qu’il l’ait fait à dessein ou non, Christy s’en moquait. Certaines personnes à l’école pouvaient vraiment être désagréables, mais ce n’était en rien comme… avant. Il revint vers le parking et Michael et Jake étaient partis. Un intense sentiment de perte le remplit, tordant ses tripes et comprimant sa poitrine.
Il regarda frénétiquement autour de lui et les vit traverser les communs. Il se précipita pour les rattraper, se concentrant sur ses pas, et ralentit quand il fut à une quinzaine de mètres derrière eux.
— Vas-tu à l’entraînement aujourd’hui ou as-tu un autre test pour Columbia ? demanda Michael.
— Pas de test. Je serai là, répondit Jake.
Michael se mit à rayonner.
— Continue à me regarder comme ça et les gens vont se mettre à jaser, plaisanta Jake.
— La ferme !
Jake se mit à rire.
— À tout’, au déjeuner.
Christy les regarda se séparer et se précipita derrière Michael. Lorsqu’il entra dans le bâtiment où se trouvait sa première heure de cours, Christy ralentit. La pensée de croiser une foule dans un couloir l’effrayait toujours. Tellement de gens pouvaient le toucher. Il joignit ses mains pour les empêcher de trembler, pris deux profondes inspirations et suivit Michael à l’intérieur.
— Hey, Michael ! le salua Gavin avec un high-five tandis que Michael passait.
— Salut, Gav ! À tout’, au déjeuner.
Quelqu’un qui se dirigeait dans la direction opposée heurta l’épaule de Christy. Il s’arrêta de marcher et se calma en fermant fortement les yeux. Puis quelqu’un d’autre le percuta par-derrière, le projetant contre un casier. Seuls sa doudoune et son sac à dos l’empêchèrent de se blesser gravement.
— Hey, fais attention, mec ! dit le gars avant de passer.
Il prit de grandes inspirations et se rappela que ce n’était qu’un accident. Le gars n’avait pas voulu lui faire du mal. C’était l’école. Les gens se heurtaient beaucoup les uns aux autres. C’était normal. Il ouvrit les yeux à temps pour voir Michael entrer dans sa classe et son cœur se serra. Puis la première sonnerie retentit, le faisant sursauter. Il se retourna et se dirigea vers la sortie du bâtiment, restant aussi près des casiers que c’était physiquement possible. Quand il atteignit l’air frais du dehors, son rythme cardiaque commença enfin à ralentir.
Il fonça vers sa classe d’art, ses Converses faisant de petits couinements dans l’herbe humide de rosée de la partie commune et il pensa pour la millionième fois qu’il était sans valeur et faible, une excuse pathétique pour un être humain.
ooOoo
Quand sa quatrième heure de cours se termina, il se précipita vers les vestiaires en espérant que Jason n’allait pas le suivre à nouveau. Au moins aujourd’hui, Jason n’avait pas attrapé son cul quand il avait enfilé ses vêtements de sport. Jason était quelqu’un dont il fallait avoir peur, quelqu’un dont il fallait rester éloigné, quelqu’un de dangereux purement et simplement. Christy savait trop bien quel genre d’homme Jason allait devenir.
Il se dirigea vers la cafeteria et Miss Lottie lui fit signe derrière le comptoir de nourriture. Elle avait installé une petite table ronde et une chaise afin qu’il n’ait pas à manger seul à la cafétéria avec des jeunes le harcelant, lui volant sa nourriture ou cognant dans son plateau.
— Mais tu as l’air tout beau avec ton foulard bleu aujourd’hui ! le salua-t-elle.
Christy mima « merci » tandis qu’il mettait de côté son sac à dos et prenait un siège. Elle posa un bol de macaronis au fromage devant lui et passa une main dans ses boucles. Il tressaillit, puis se détesta immédiatement pour ça. Son cerveau savait que Lottie ne lui ferait pas de mal, mais le reste de son corps n’était pas encore habitué à elle.
— Du calme ne soit pas aussi dur avec toi-même, dit-elle comme si elle avait lu dans son esprit.
Il essaya de lui adresser un petit sourire, mais ne pensa pas y réussir très bien.
Elle retourna au comptoir de nourriture et passa des assiettes de poulet frit et de sandwiches à la dinde derrière le garde.
— Bon après-midi, Miss Lottie.
Christy releva les yeux de son bol au son de la voix de Michael. Ses brillants yeux verts montraient son rire tandis qu’il commandait un sandwich de dinde et que Jake taquinait Lottie, lui proposant de sortir avec lui.
Christy avait été surpris quand il avait entendu Jake taquiner Miss Lottie pour la première en lui proposant de sortir avec lui. Il ne pensait pas qu’un gars cool comme Jake trouverait une femme âgée, en surpoids, attirante. En vérité, Miss Lottie était grosse. Quand il lui avait demandé si elle accepterait de sortir avec lui pour un rendez-vous, elle avait éclaté de rire. Il avait été mortifié d’avoir demandé quelque chose d’inapproprié. En voyant sa confusion, elle s’était assise et la table avec lui et lui avait expliqué que Jake la taquinait. Quand il avait demandé pourquoi, elle lui avait répondu que c’était parce qu’il l’aimait bien. Il n’avait pas compris. Les gens l’avaient taquiné avec de la nourriture et il avait détesté ça. Il avait interrogé Rob à ce sujet et Rob l’avait aidé à chercher le mot « allumeur » dans le dictionnaire et lui avait expliqué que cela pouvait être fait de manière ludique ou méchante. Puis il avait compris que Jake le disait d’une manière ludique. Bien qu’il ait compris, il ne pouvait toujours pas se résoudre à taquiner qui que ce soit.
Il regarda Michael ajouter une salade à son plateau, ajoutant avec précaution de la vinaigrette dessus, et reposer la louche dans le bol. Il admirait le fait que Michael ne renverse jamais rien, ne gâchait jamais de nourriture. Quand il releva les yeux, il vit que Michael le regardait intensément. Ses joues s’enflammèrent et le temps se figea comme le jour où ils s’étaient rentrés dedans. À nouveau, son cœur battit la chamade et il resta assis là, figé et aussi muet qu’une pierre tandis que les yeux verts de Michael le retenaient captif. Il ne savait pas quoi faire, ce qui était approprié, s’il devait baisser les yeux comme ils lui avaient dit de le faire. Puis Michael sourit et Christy haleta légèrement tandis que ses joues s’enflammaient de plus belle. Son visage ne lui avait jamais paru aussi brûlant.
Il regarda tandis que Michael s’éloignait de la file d’attente, suivant Jake et il relâcha le souffle qu’il n’avait pas eu conscience de retenir. Puis Michael se pencha et le regarda à travers la vitre qui protégeait la nourriture et lui fit un clin d’œil.
Michael lui fit un clin d’œil. C’était beaucoup trop et Christy se détourna. Même pour quelqu’un d’aussi brisé qu’il l’était, un clin d’œil n’avait pas besoin d’être traduit. Il savait que cela signifiait que quelqu’un vous appréciait. Oserait-il le regarder à nouveau ? Il inspira profondément, rassembla son courage et osa le regarder à nouveau. Michael lui sourit seulement avant de s’éloigner.
— On dirait que tu as un admirateur, dit doucement Miss Lottie, alors qu’elle s’asseyait sur la petite chaise en face de lui.
Les joues de Christy s’enflammèrent encore une fois alors qu’une partie éloignée de son esprit se demandait comment Miss Lottie pouvait tenir dans une chaise si petite. Elle rit doucement.
— Ne t’inquiète pas, mon joli. C’est une bonne chose. L’aimes-tu ?
Christy détourna la tête.
Elle rit doucement à nouveau.
— C’est l’un des garçons les plus gentils de l’école. As-tu déjà fait sa rencontre ?
Christy se tourna vers elle et secoua la tête.
— Voudrais-tu faire sa connaissance ?
Christy ne savait pas s’il devait hocher la tête pour dire « oui » ou la secouer pour dire « non ». Quelle est la bonne chose à faire ?
Elle rit à nouveau.
— Fais-moi savoir si tu veux le rencontrer, d’accord, mon joli ?
ooOoo
Christy rangea rapidement son livre dans son sac à dos alors que la dernière sonnerie retentissait et indiquait la fin de sa dernière heure de cours. Maintenant arrivait son moment préféré de la journée. Il quitta la salle de classe et se dirigea vers la piste pour regarder Michael s’entraîner. Il survola le dernier obstacle, franchit la ligne d’arrivée et sauta en l’air.
— Whoo-hooo ! Je l’ai fait, mon pote !
Jake vérifia le chronomètre.
— Je n’y crois pas ! Tu l’as couru en 13.98 secondes !
Il claqua dans la main de Michael pour un chaleureux high-five. Leurs mots flottaient jusqu’à Christy grâce à la légère brise de l’après-midi alors qu’il était assis en haut des gradins.
— J’ai enfin réussi à descendre sous les quatorze, dit Michael tandis qu’il traversait la piste, tirait une bouteille d’eau de son sac, l’ouvrait et laissait l’eau ruisseler sur lui.
— Tu as encore du chemin à faire, mec. Tu dois descendre sous les 12.87 secondes qui battre le record du monde du 110 mètres haies, lui rappela Jake.
Des gouttelettes volèrent alors que Michael secouait ses boucles châtain et Christy pensa que c’était la chose la plus sexy qu’il ait jamais vue. Il imagina Michael sous la douche, la peau luisante d’eau tandis qu’elle se déversait sur lui. Son rythme cardiaque s’accéléra à l’image qui traversait son esprit. Jake s’assit sur le banc à côté de Michael et serra son épaule. Christy regarda Michael étirer ses longues jambes en face de lui et il s’imagina Michael le tenant. Il était pathétiquement petit et, compte tenu de la taille de Michael, il aurait de la chance s’il était suffisamment grand pour poser sa tête contre sa poitrine.
Le regard de Jake dériva jusqu’à Christy et revint vers Michael.
— Il est encore là.
Un mouvement de panique et de confusion emplit l’esprit de Christy. Il voulait que Michael le remarque, mais pas aujourd’hui. Il n’était pas prêt à le rencontrer encore. Ses yeux parcoururent rapidement les gradins. La seule manière de partir était de descendre les marches qui se terminaient juste à l’endroit où Michael et Jake étaient assis. Il regarda rapidement en bas de la longue lignée de gradins et se demanda s’il pouvait passer en diagonale et descendre les marches de l’autre extrémité sans que Michael ou Jake le remarque. Ses chances n’étaient pas bonnes. Michael essuya l’humidité de son visage.
— Qui ?
— Tu sais qui. Le garçon muet.
 Christy grimaça au surnom qu’ils lui avaient donné à l’école. Il n’était pas muet. Il pouvait parler, ou du moins il était censé être en mesure de pouvoir le faire quand son cou serait guéri. Une vague de colère remplaça rapidement sa panique et sa confusion en pensant à eux et à avant.
Michael bouchonna la serviette et la jeta à Jake.
— Ne l’appelle pas comme ça. Christy. Il s’appelle Christy.
Christy se figea. Michael connaît mon nom.
— Quelle sorte de nom est-ce ça ? demanda Jake.
— Un joli, en tout cas, répondit Michael.
— Il est bizarre.
— Il est joli.
— Joli, souffla Christy, aussi légèrement qu’un murmure dans l’air.
Il ne savait pas s’il devait être heureux ou s’enfuir. C’était ce qu’il voulait, non ? Il avait si peur.
— On dirait que tu as le béguin pour lui ou quelque chose comme ça, dit Jake.
— C’est vrai. Depuis deux mois, dit Michael.
La bouche de Christy s’assécha et son cœur était maintenant remonté dans sa gorge. Il chercha de nouveau une voie d’évacuation à travers les gradins. De toute façon, s’il s’en allait, il aurait à passer devant Michael et Jake. Il aurait dû mieux réfléchir à ce sujet. Il avait seulement pensé que personne ne le remarquerait là-haut et se maudit silencieusement d’avoir été aussi stupide.
— Michael, ce gars est trop bizarre. Il ne parle pas, il te suit partout comme un chiot perdu. Sérieusement, il te surveille. Comme s’il te collait.
Christy grimaça à nouveau à la critique.
— Peut-être qu’il me trouve sexy.
Le visage de Christy se mit à rougir et il se perdit dans des images érotiques de Michael, leurs mots se perdirent, emportés par la brise tandis que le vent tournait. Michael releva les yeux vers les gradins et regarda Christy.
— Je commence à me demander si ce que j’aime existe.
Skata, jura Christy silencieusement en lui-même avant de se détourner rapidement.
Jake termina de ranger ses affaires et reprit à nouveau sa place à côté de Michael.
— Dis-moi ce que tu aimes. En dehors de ce type, Andrej.
Michael se pencha en avant, les coudes sur les genoux et se frotta les yeux des paumes de ses mains.
— Je ne peux pas dire à un hétéro ce que j’aime chez un homme.
— Sois tranquille, mon pote. Je vois bien ce que tu regardes, alors voyons voir si j’ai tout juste.
Le vent tourna de nouveau et Christy écouta attentivement alors que Michael et Jake parlaient, leurs mots dérivant jusqu’à lui grâce à la brise. Les yeux de Michael survolèrent à nouveau les gradins et se posèrent sur Christy encore une fois. Il serra les poings et réprima son envie de s’enfuir.
— Je vais aller lui parler, dit Michael.
Non ! Le souffle de Christy se précipitait rapidement maintenant. Dois-je m’enfuir ?
Jake se mit à rire.
— As-tu oublié qu’il ne parle pas ?
Michael fut immédiatement sur la défensive.
— Et alors ?
Christy se figea à nouveau. Michael ne se souciait pas qu’il ne parle pas. Michael ne se soucie pas que je ne puisse pas parler ! Il regarda Jake s’éloigner. Puis Michael leva à nouveau les yeux vers lui. Quand leurs yeux se croisèrent, Christy dut détourner les siens. Puis Michael commença à monter les marches des gradins, venant dans sa direction et Christy pensa qu’il allait s’évanouir.




Traduction par Bénédicte Girault
©C. Kennedy – Tous droits réservés.


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