CHAPITRE TROIS
—
Ils ont pris d’assaut le yacht ce matin, dit calmement Nero.
Le
petit corps de Christy devint rigide.
—
Combien comme moi ?
Bien
que presque inaudible, son ton était ferme.
—
Plusieurs, répondit Nero.
Christy
baissa la tête et ferma de nouveau les yeux.
—
Morts ?
Le
mot unique était à peine un murmure dans l’air.
—
Quelques-uns, répondit honnêtement Nero.
Sa
tête se releva brusquement, son Jell-O, totalement oublié.
—
Qui ?
Michael
rattrapa le bol qui glissait de ses genoux et Carol le lui prit et le posa sur
la table de nuit.
—
Ils ne les ont pas encore identifiés.
—
S’il vous plaît, demandez au Général Sotíras d’envoyer des photos. J’aimerais
savoir si mes amis sont morts.
Les
paroles de Christy étaient catégoriques.
—
Es-tu sûr que ce soit une bonne idée ? Peut-être que tu devrais attendre
jusqu’à ce qu’ils puissent te donner les noms, dit gentiment Michael.
Christy
secoua la tête.
—
Je veux savoir si mes amis sont morts. S’il vous plaît, demandez au Général
d’envoyer les photos.
Ses
paroles ne souffraient aucune contradiction.
Nero
sortit une liasse de papiers de sa poche de poitrine et Rob resta auprès de lui
et prit doucement sa main.
—
Christy, Nero a des photos avec lui. Êtes-vous certain d’être assez fort pour
les voir ?
Il
releva les yeux vers Rob, sa colère flambant dans ses yeux.
—
Je peux le faire.
Il
tendit la main vers les photos, insistant, exigeant.
Rob
marqua une pause imperceptible avant de les lui passer.
—
J’aimerais avoir un crayon pour écrire, dit platement Christy.
Mac
sortit un stylo de la poche de sa blouse blanche et le lui tendit.
—
Je vais écrire leurs noms si je les connais et l’endroit d’où ils viennent.
Nero
hocha la tête.
—
Bene, dit-il, dans sa langue
italienne natale.
Tout
le corps de Christy tremblait tandis qu’il regardait la première photo. Michael
passa son bras autour de lui et il se pencha contre lui, cherchant du réconfort
tandis qu’il écrivait en parfaites lettres grecques.
—
C’est Stefano. Il vient d’Italie.
Il
remit la photo à Michael.
Celui-ci
étudia l’horrible image d’un jeune homme mort, brièvement avant de la tendre à
Nero.
—
C’est Antonio. Il vient d’Espagne.
Et
cela continua avec toute la pile des vingt-quatre photos en tout.
—
Je ne connais pas les autres.
Il
rendit les photos à Nero.
—
Timotheos n’est pas sur ces photos. C’est le fils de Yosef. Est-il
vivant ?
Le
visage de Nero perdit toutes ses couleurs.
—
Yosef a un fils ?
Christy
hocha la tête une fois.
—
Yosef a raconté l’histoire du viol d’une fille quand il était jeune. Elle ne
voulait pas du garçon et Yosef l’a pris. Il était avec moi, la nuit où mon
père… m’a utilisé pour la dernière fois. Thimi a…
Il
réfléchit pendant un moment.
—
Il a douze ans maintenant.
—
Êtes-vous certain que c’est le fils de Yosef ? demanda Nero, incrédule.
—
Oui. Il est très petit comme moi, avec un très beau visage, et des yeux… Je ne
connais pas ce mot en anglais. Topázi.
—
Topaze ? Ambre ? demanda Nero.
—
Oui, il a des yeux de cette couleur et des cheveux foncés. Il a un énorme
upsilon gravé au fer rouge dans son dos.
Les
paroles de Christy énonçaient simplement un fait alors que ses tremblements
augmentaient et que des larmes emplissaient de nouveau ses yeux.
Michael
le prit dans ses bras et le tint contre lui.
—
Tu vas bien. Tu es en sécurité maintenant, bébé.
Le
souffle de Christy s’accéléra.
—
Ils sont cruels.
—
Oui, ils le sont, mais ils ne te feront plus jamais de mal, promit Michael tout
en frottant le dos de Christy en de longs mouvements apaisants.
Son
souffle était chaud et doux dans le cou de Michael alors qu’il se calmait et
que sa respiration ralentissait.
Nero
griffonna quelques notes rapides.
—
Puis-je poser une autre question ?
Lentement,
Christy s’éloigna des bras de Michael et lui fit signe de continuer.
—
Avez-vous jamais rencontré une femme sur le yacht ?
Les
yeux de Christy prirent cette expression lointaine, ce regard qui faisait que
Michael se sentait impuissant, et il regarda son père, réclamant
silencieusement un peu d’aide.
—
Elle nous disait quand nous baigner, quels vêtements porter, dit doucement Christy.
—
Vous souvenez-vous de son nom ? demanda Nero.
—
Nous ne le connaissions pas. Nous devions l’appeler Mère quand elle… nous
punissait.
Nero
fronça les sourcils.
—
Elle a participé aux abus ?
Lentement,
Christy revint de son autre monde et hocha la tête.
—
Elle était la punition si nous n’obéissions pas. Michael, quelle est la chose
que nous avons vue dans la vitrine de ce magasin horrible ?
Le
magasin horrible auquel Christy se référait était le Pleasure Chest, une
boutique vendant tout l’attirail nécessaire aux plaisirs sexuels sur laquelle
ils étaient tombés au cours de leur promenade sur Genovese Avenue, juste avant
l’enlèvement. Quand Christy avait été informé de ce qu’étaient les articles en
vitrine, il avait été horrifié.
—
Le fouet ? demanda Michael.
—
L’autre. En grec, ça se dit olisbos.
Nero
eut l’air dégoûté.
—
Un dispositif prothétique sexuel ?
Une
petite ampoule éclata dans la tête de Michael.
—
Le… ah… le gode-ceinture ? balbutia-t-il, mal à l’aise de prononcer le mot
devant des adultes.
—
Oui, c’est cette chose. Elle nous faisait mal avec ça.
Michael
grimaça. Christy avait enduré tellement de choses, que c’était à se demander
comment il avait fait pour ne pas perdre l’esprit.
—
Pouvez-vous la décrire, à quoi ressemblait-elle ? demanda gentiment Nero.
—
Je vais vous faire un dessin. J’ai juste besoin d’une feuille blanche.
Mac
retira le dossier de son presse-papiers, découpa un morceau de feuille de l’un
des appareils de mesure et le tendit à Christy.
Le
silence s’installa pendant qu’il esquissait rapidement, sa main se déplaçant
habilement sur le papier malgré ses bandages. Dix minutes s’écoulèrent avant
qu’il remette le presse-papiers à Nero.
—
Vous pouvez la reconnaître au doigt manquant de sa main gauche. Mon père le lui
a coupé quand elle lui a menti.
Michael
grimaça à nouveau. Le père de Christy avait été un putain de malade.
—
Bene, bene, merci, Christy. C’est
excellent.
—
Voulez-vous le reste de votre Jell-O, Christy ? demanda Carol.
Christy
secoua la tête, l’interrogatoire ayant clairement épuisé ses réserves.
—
Je souhaite me reposer maintenant.
Michael
s’assit à côté du lit de Christy et tint sa main tandis qu’il écoutait le
moniteur cardiaque bourdonner. Celui-ci s’arrêtait de battre tellement souvent
que cela lui rappela que le cœur de Christy n’était pas en grande forme. Que
celui-ci ait trop lutté à cause de la terreur induite par son enlèvement ou à
cause de ses blessures, Michael ne le savait pas. Il se souciait seulement
qu’il soit toujours en vie et du fait que son père lui avait assuré que Christy
se remettrait complètement.
Il
retourna la petite main bandée de Christy dans la sienne. Il pourrait aller au
bout du monde pour lui.
C’était
ainsi depuis le jour où il lui était rentré dedans, littéralement. Il était en
chemin pour aller en classe, de bonne heure le matin, quand il avait réalisé
qu’il avait laissé son devoir de littérature anglaise dans sa voiture. Il
s’était brusquement retourné pour repartir vers le parking et était rentré dans
Christy. Il avait trébuché, les envoyant pratiquement tous les deux à terre, et
avait rapidement attrapé son bras pour le stabiliser.
—
Désolé, mec, je ne t’ai pas vu.
Puis
il l’avait fait. Les yeux de Christy brillaient dans la lumière du soleil
matinal, comme les eaux cristallines des Caraïbes. Subjugué, Michael n’avait
pas été capable de retenir les mots qui avaient franchi ses lèvres.
—
Tes yeux sont magnifiques.
Un
sourire timide était apparu sur le visage angélique de Christy et, après une
seconde, ses yeux s’étaient emplis d’incertitude. Embarrassé, Michael avait
lâché « désolé, mec ». Christy avait seulement hoché la tête et
s’était éloigné. Cela avait été un coup de foudre pour lui et à partir de ce
matin fatidique, le joli Christy avait été l’objet de son désir. Cela lui avait
tout de même pris deux mois pour trouver le courage de lui parler, mais, quand
il l’avait fait, il avait su qu’il n’avait jamais rencontré quelqu’un de plus
doux.
Il
se pencha et effleura les boucles de Christy de son front. Les graves
contusions et le gonflement de son visage avaient diminué et disparu au fur et
à mesure de leur séjour à l’hôpital, et il était presque parfait à nouveau.
Seule la peau autour d’un œil gardait une phénoménale teinte jaune verdâtre.
Malgré tout, Michael remercia silencieusement sa bonne étoile à nouveau qu’il
aille mieux. Cela aurait pu être pire. Largement pire.
—
Je t’aime, Christophoros Tryphon Alexis Castlios, murmura-t-il.
Malgré
son angoisse, un sentiment de joie le chatouillait et un petit grognement lui
échappa. Le nom de son petit ami était si sacrément long qu’il serait absurde
pour n’importe qui, sans parler de quelqu’un de la petite stature de Christy. À
un mètre cinquante-sept et quarante-cinq kilos, vous pouviez l’enrouler trois
fois autour de lui et il resterait encore des lettres.
Le
petit couinement des chaussures de Carol se fit entendre derrière lui tandis
qu’elle entrait dans la chambre.
—
Comment allez-vous ? demanda-t-elle doucement alors qu’elle contournait le
lit pour injecter quelque chose dans l’intraveineuse de Christy.
—
Bien. Qu’est-ce que c’est ?
—
Un sédatif.
Michael
se sentit immédiatement attristé et échoua totalement à essayer de le cacher.
—
Votre père veut qu’il soit mis sous sédatif par mesure de précaution,
expliqua-t-elle.
Michael
ne pouvait qu’être d’accord. Il voulait que les cauchemars de Christy
disparaissent et la conversation d’aujourd’hui à propos de l’assaut du yacht
allait sûrement les faire revenir.
—
Il va dormir toute la nuit. Vous devriez essayer de prendre un peu de repos,
l’encouragea-t-elle.
Michael
serra les dents.
—
Je veux être éveillé au cas où il aurait un autre mauvais rêve.
—
Restez alors, mais ne dites pas à votre père que je vous ai permis de veiller
toute la nuit, encore une fois.
Le
bruit de ses chaussures diminua après qu’elle soit sortie de la chambre et il
sourit intérieurement. Il ne savait pas que son père exerçait une telle
puissance dans le plus grand hôpital de la ville jusqu’à ce qu’il devienne un
patient. Il lui semblait même que son père gérait l’endroit par moments.
Il
regarda l’heure sur l’horloge accrochée au mur. Il connaissait par cœur les
emplois du temps de Christy, Jake et Sophia et il était temps de rendre visite
à Jake.
—
Stop, souffla doucement Christy.
Le
cœur de Michael sursauta dans sa poitrine. Était-il éveillé ou était-ce le
début d’un nouveau cauchemar ?
—
Christy ?
Michael
vacilla en se mettant debout et se pencha vers lui.
—
Christy ? Es-tu réveillé, bébé ?
—
Tu… réfléchis… beaucoup trop…
Les
mots de Christy s’effilochèrent.
Celui-ci
passait au grec quand il rêvait et Michael espéra contre tout espoir qu’il
était réveillé.
—
Es-tu réveillé, bébé ?
Christy
marmonna :
—
S'agapó ?
Puis
il repartit de nouveau au pays des rêves.
Il
n’avait aucune idée de ce que sa-ga-po voulait dire. Il repoussa doucement une
boucle blanc-doré du front de Christy, l’embrassa et sortit pour voir comment
allait Jake.